Œuvres autobiographiques complètes

, tome I
Édition publiée sous la direction de Claude Leroy avec la collaboration de Michèle Touret
Collection Bibliothèque de la Pléiade (no589)
Gallimard
Parution
En 1929, lors de sa parution, Une nuit dans la forêt était sous-titré «premier fragment d’une autobiographie». Trois ans plus tard, Blaise Cendrars évoquait pour la première fois ses souvenirs d’enfance dans Vol à voile et prévoyait une suite (perdue ou non écrite) qui devait s’intituler «Un début dans la vie». Mais de quelle vie s’agit-il? et comment la raconter?
Certains élèvent des cathédrales. Cendrars construit des labyrinthes. D’autres mémorialistes (mais en est-il un?) sont les esclaves du temps et des faits. Lui ne se soucie ni de chronologie ni d’exactitude. La vérité qui compte est celle du sens. «Je crois à ce que j’écris, je ne crois pas à ce qui m’entoure et dans quoi je trempe ma plume pour écrire.» On imagine l’enthousiasme du jeune Freddy découvrant, grâce à Hans Vaihinger, que la vérité pouvait n’être que «la forme la plus opportune de l’erreur».
Se créer une légende, voilà la grande affaire. Il en éprouvera toujours le besoin, ce qui est d’ailleurs, selon lui, l’«un des traits les plus caractéristiques du génie». «Je me suis fabriqué une vie d’où est sorti mon nom», dira-t-il, sur le tard, mais ce fantasme d’auto-engendrement est ancien. Quand on lui demanda, en 1929, si «Blaise Cendrars» était son vrai nom, il répondit : «C’est mon nom le plus vrai.» Le pseudonyme devient vrai en échappant à l’emprise de la filiation. De même, en s’émancipant de la tyrannie des faits, la «vie pseudonyme» du poète acquiert une authenticité supérieure et devient «légende», c’est-à-dire (comme l’indiquent l’étymologie et Jean Genet) lisible.
Il va de soi que les livres qui résultent de cette recréation du réel ne peuvent être qualifiés d’«autobiographiques» que par convention. Chez Cendrars, l’écriture de soi relève moins du pacte autobiographique que de ce que Claude Louis-Combet appelle l’(auto)mythobiographie : prendre en compte le vécu, soit, mais à partir de ses éléments oniriques et mythologiques. Cendrars fait de son existence la proie des mythes et des «hôtes de la nuit», rêves et fantasmes.
Autobiographiques par convention, donc, et complètes… jusqu’à un certain point (car l’autobiographique est partout présent chez Cendrars, jusque dans ses romans), les œuvres ici rassemblées s’organisent autour des quatre grands livres publiés entre 1945 et 1949 : L’Homme foudroyé, La Main coupée, Bourlinguer et Le Lotissement du ciel. Cette «tétralogie» informelle est précédée de Sous le signe de François Villon, important recueil demeuré jusqu’à ce jour inédit en tant que tel. Elle est suivie du dernier texte personnel de Cendrars, J’ai vu mourir Fernand Léger, témoignage sur les derniers jours du peintre qui avait illustré la plaquette J’ai tué en 1918. On rassemble en outre, au tome II, les «Écrits de jeunesse» (1911-1912) au fil desquels Frédéric Sauser renaît en Blaise Cendrars. Enfin, un ensemble d’«Entretiens et propos rapportés» procure les éléments d’un autoportrait parlé.