Ceux de Kronstadt

Trad. de l'allemand (Russie) par Victor Mayer
Gallimard
Parution
Ce qui s'est passé à Kronstadt de Pâques 1917 (et bien avant) jusqu'en 1921, constitue l'un des drames les plus poignants, les plus chargés de sens, de ce demi-siècle, et probablement de toute l'histoire moderne. Pâques 1917: les équipages de la flotte russe de la Baltique – la plus moderne, la mieux équipée – se soulèvent, s'emparent des navires et de la grande base navale ; c'est le vrai début de la révolution. 1921: la «commune» de Kronstadt est écrasée définitivement sous les assauts des armées de Toukatchevsky, lancées à travers le golf gelé. Entre ces deux dates, se déroule la prodigieuse histoire d'une insurrection d'abord victorieuse (et sans horreur, après les premières exécutions sommaires), puis aux prises, peu à peu, avec le pouvoir qu'elle a aidé à surgir à Pétersbourg et à Moscou. Mais tout cela, c'est l'histoire, dont on trouverait les données dans maint livre officiel ou non.
Ce que Ceux de Kronstadt nous apporte, c'est l'irremplaçable vision directe, la saveur atroce de la vie au cours d'une épreuve subie et non imaginée, le soulèvement de Kronstadt tel que l'a vécu l'un de ses obscurs acteurs, le paysan devenu matelot, Leonid Gussen, jeté à l'insurrection à la fois par des forces qui l'épouvantent, et par un élémentaire besoin de justice qu'il partage avec tout un peuple.
L'admirable, c'est que ce livre, où nous ne quittons jamais la plus rugueuse réalité, est aussi un roman d'une ampleur épique, où l'ensemble du drame des années 1917 à 1921 est perçu à travers les conversations et les gestes d'un grand nombre d'êtres parfois grotesques et sinistres, toujours déchirants de vérité.
On suppose que l'auteur, Janis Bogdanov, est l'un des survivants de ces équipages de la Baltique ; le livre abonde en détails que seul un témoin a pu rapporter. Quoi qu'il en soit de la personne et de la vie de cet auteur, Ceux de Kronstadt est assurément l'un des très grands romans de notre temps, le seul peut-être qui joigne à la vérité historique la puissance de la vision épique.