Crime et folie

Les entretiens de la Fondation des Treilles
Édition publiée sous la direction de Laura Bossi
Gallimard
Parution
1810-2010 : cela fait exactement deux siècles, depuis le code pénal napoléonien, que le droit prend en compte les crimes commis par les fous, qui auparavant étaient exclus du droit, comme les enfants ou les animaux. Cela fait aussi deux siècles que la phrénologie et la psychiatrie naissante ont décrit des patients qui seraient déterminés au crime par leur constitution cérébrale, même sans être totalement dépourvus des capacités intellectuelles leur permettant de distinguer le bien du mal ; ces cas de «monomanie homicide» ou de «folie morale» devraient être, selon les médecins, soustraits aux rigueurs de la loi et soignés dans des établissements spécialisés.
Crime et folie seront explicitement liés dans la théorie de la «dégénérescence», formalisée au milieu du XIXᵉ siècle par Morel, puis développée et remaniée dans une perspective évolutionniste. Selon cette théorie, les dégénérés sont une «variante morbide de l’espèce humaine», ils doivent être reconnus et isolés pour les empêcher de nuire et de se reproduire. C’est plus tard, à la fin du XIXᵉ siècle, que se développe une approche qui se veut scientifique de la criminologie : le psychiatre turinois Cesare Lombroso fonde une anthropologie qui prétend établir les caractéristiques distinctives de l’homme criminel, qui s’inscriraient dans sa physiologie même, comme des stigmates. Dire cela, c’est focaliser l’intérêt sur le criminel et sur sa dangerosité potentielle pour la société, plutôt que sur le crime effectivement commis.
Devant les difficultés à cerner le malade qui mériterait soin et compassion, et le criminel qui mériterait punition, on retrouve le fil de la longue histoire de l’idée du libre arbitre de la volonté, qui a montré l’interaction complexe entre penser et vouloir, vouloir et pouvoir, entre volontés opposées. Mais ce sont peut-être les artistes qui ont su le mieux exprimer la tension entre Mal et maladie, entre humain et satanique. À travers les récits de Sade, Dostoïevski, Stevenson, Kafka, et quelques autres, ce sont ainsi des exempla de la folie criminelle qui sont ici évoqués et analysés.